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Au département des Estampes et de la photographie de la BnF, la numérisation de l’œuvre gravé de Whistler s’achève. Près de deux cent cinquante lithographies, pointes-sèches et eaux-fortes que vous pouvez désormais admirer sur Gallica. Pour fêter l’évènement, je vous propose une sélection personnelle de mes œuvres préférées.

Whistler, Old Westminster bridge, 1859-1871, eau-forte, 2e état

Whistler, Old Westminster bridge, 1859-1871, eau-forte, 2e état

D’origine américaine, James Abbott McNeill Whistler (1834-1903) ne s’est pas d’emblée destiné à une carrière artistique. Après avoir entamé des études à l’Académie militaire – qui se soldent par un échec, Whistler intègre le bureau des cartes marines de Washington avant de quitter son emploi pour rejoindre la France, décidé à se consacrer à une carrière artistique. Nous sommes en 1855, Whistler a 21 ans et s’inscrit à l’Atelier de Gleyre. A Paris, il fréquente les cercles d’artistes anglophones mais aussi francophones- parmi lesquels Fantin-Latour et Degas.

Le goût artistique de Whistler se renforce à Londres auprès de Hayden Seymour Haden, son beau-frère, chez qui il s’installe en 1859. Graveur amateur, Hayden Seymour Haden possède une très belle collection d’estampes, avec une prédilection pour l’eau-forte du XVIIe siècle. C’est ainsi que Whistler a tout le loisir de contempler des gravures de Rembrandt, dont le modèle transparaît dans certains de ses travaux futurs, tel cette Vénus où il s’inspire clairement de l’estampe Jupiter et Antiope.

Whistler, Vénus, eau-forte, 2e état, 1859, BnF

Whistler, Vénus, eau-forte, 2e état, 1859, BnF

Whistler, La marchande de moutarde, eau-forte, 2e état, 1858, BnF

Whistler, La marchande de moutarde, eau-forte, 2e état, 1858, BnF

Le rudiment de la gravure, Whistler les manie depuis son séjour du bureau des cartes marines, où il a été initié à l’eau-forte. De plus, lorsqu’il séjourne à Paris entre 1855 et 1859, l’eau-forte est en plein renouveau, porté par des personnalités tels les artistes Charles Meryon, Félix Bracquemond, l’imprimeur Auguste Delâtre ou le théoricien Philippe Burty. Le jeune Whistler admire leur travail, notamment les vues gravées de Paris par Meryon. C’est de cette époque que date la première suite d’estampes d’importance de Whistler, connue sous le nom de Suite Française ou « French Set », composée de 12 planches, dont la marchande de loques  et marchande de moutarde, présentée au salon de 1859.

Whistler, The lime-burner, 1859-1871, eau-forte, 2e état,  BnF

Whistler, The lime-burner, 1859-1871, eau-forte, 2e état, BnF

Dans l’œuvre gravé de Whistler, le paysage urbain occupe une grande importance. Au fil de ses séjours, Whistler a représenté les villes dans lesquelles il se trouvait : Paris, Londres, Amsterdam ou encore Venise. Mais les visions que Whistler en propose sont radicalement nouvelles : son intérêt va aux docks des bords de la Tamise, aux canaux croupissants des bas-fonds vénitiens. En cela, Whistler répond au souhait de Baudelaire de voir l’artiste représenter la vie moderne : « un genre que j’appelerai volontiers le paysage des grandes villes, c’est-à-dire la collection des grandeurs et des beautés qui résultent d’une puissante agglomération d’hommes et de monuments […] les obélisques de l’industrie vomissant contre le firmament leur coalition de fumées ». L’année même où Baudelaire rédige ce texte, Whistler, à la recherche d’un sujet réaliste, descend sur les bords de la Tamise alors que le fleuve – dans lesquels sont déversés les égouts londoniens – dégage une odeur nauséabonde. C’est ce qu’on appelle la grande puanteur. Pour endiguer le phénomène, les autorités enjoignent que l’on verse de la chaux dans le fleuve. C’est un ouvrier chaufournier – celui qui calcine la pierre à chaux, que Whistler a justement représenté dans l’estampe intitulée « The Lime-burner ».

Whistler, Black lion wharf, 1859-1871, eau-forte, 3e état, BnF

Whistler, Black lion wharf, 1859-1871, eau-forte, 3e état, BnF

Dans la suite de la Tamise, composée de six planches, on sent clairement l’influence du Paris gravé de Charles Meryon : de la même façon que le graveur français, Whistler a cherché à représenter un aspect de la ville appelé à disparaitre. Cependant, il ne se contente pas de graver l’environnement urbain, et montre un intérêt prononcé pour la classe populaire. Comme Courbet, qu’il a fréquenté, Whistler dessine dans les troquets des bas fonds, auprès des dockers et des ivrognes.

Whistler, Longshoremen, 1859, eau-forte, BnF

Whistler, Longshoremen, 1859, eau-forte, BnF

La suite de la Tamise, admirée par Baudelaire en 1862 à la Galerie Martinet à Paris, établira la réputation de Whistler.

Whistler, Rialto, 1886, eau-forte, 1e état

Whistler, Rialto, 1886, eau-forte, 1e état

Cependant, le caractère querelleur de l’artiste lui engendre des inimitiés qui mettent en péril sa notoriété. En 1879, Whistler perd le procès intenté contre Ruskin. A 45 ans, ruiné, l’artiste reprend la gravure, qu’il a abandonné seize ans plus tôt, à la faveur d’un voyage à Venise. Durant ce séjour, Whistler ne s’intéresse pas seulement aux grandes vues intemporelles de la cité, qui ont fait le succès des tableaux de Canaletto, de Guardi et des aquarelles de Turner. Whistler grave l’animation du Rialto et les eaux croupissantes des canaux secondaires.

« J’ai appris à connaître une Venise dans Venise que les autres semblent n’avoir jamais perçue »

Whistler, Two doorways, 1880, eau-forte, 3e état, BnF

Whistler, Two doorways, 1880, eau-forte, 3e état, BnF

L’intérêt de Whistler pour les effets d’atmosphère, les reflets miroitants de l’eau traverse toute l’œuvre peinte comme gravée de l’artiste. Pour transposer les effets de nocturne qu’il affectionne tant, Whistler va employer à partir de 1878 la lithotinte. Réalisant un premier lavis sur pierre lithographique, il en module les valeurs au moyen de crayons lithographiques et de grattoirs.

Whistler, Nocturne, le fleuve à Battersea, 1878, lithographie, BnF

Whistler, Nocturne, le fleuve à Battersea, 1878, lithographie, BnF

Whistler, Drouet sculpteur, 1859, eau-forte, 2e état, BnF

Whistler, Drouet sculpteur, 1859, eau-forte, 2e état, BnF

Mais tout l’œuvre gravé de Whistler ne peut se résumer à ces vues urbaines. Il comprend également beaucoup de portraits, tant à la pointe sèche que lithographiées. Modèles d’ateliers, maîtresses, amis artistes, proches parents, riches commanditaires… Comme dans ses portraits peints, on observe ici une très grande attention au rendu des vêtements et des étoffes.

Par sa production gravée Whistler a participé au renouveau de l’eau-forte et à l’affirmation de l’estampe comme un objet d’art, multipliant les états et apportant un soin extrême à chacun de ses tirages. Dès 1859, il s’emploie à imprimer lui-même ses cuivres, s’appuyant sur le savoir faire qu’il a acquis auprès de Delâtre. Il apprécie les effets d’encrage, qui lui permettent de reproduire les atmosphères brumeuses et nocturnes qu’il affectionne tant, mais également de singulariser chacun des tirages. Afin d’accroître la préciosité de sa production, Whistler aime imprimer sur des papiers anciens, allant jusqu’à dépouiller des livres du XVIIIe siècle de leurs feuilles de garde vierges – une pratique assez courante alors dans le milieu de la gravure artistique.

Whistler, The forge, 1861-1871, eau-forte, 4e état, BnF

Whistler, The forge, 1861-1871, eau-forte, 4e état, BnF

Les 265 pièces de l’oeuvre gravé de Whistler conservés par la BnF sont accessibles sur Gallica. Outre les acquisitions de la BnF, ce fonds a pour origine deux dons importants: celui d’un ensemble de lithographies par la belle soeur de Whistler et celui de Curtis, en 1943.

Whistler, Little Venice, 1880, eau-forte, 1e état, BnF

Whistler, Little Venice, 1880, eau-forte, 1e état, BnF

Pour en savoir plus:

  • [Exposition. Paris, Grand Palais. 2004-2005], Turner, Whistler, Monet, Paris, Réunion des musées nationaux, 2004, 262 p.
  • [Exposition. Paris, Musée d’Orsay. 1987], Whistler graveur,  Paris, Éd. de la Réunion des musées nationaux, 1987, 64 p.
  • [Exposition. Paris, Musée d’Orsay. 1995],  Whistler : 1834-1903, Paris, Réunion des Musée nationaux, 1995, 334 p.