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Sous le titre « vues d’optique » est désigné un type spécifique de la production gravée du XVIIIe siècle : des images en perspective, souvent coloriées à la main et destinées à être regardées à travers une boîte d’optique qui en accentue l’effet de profondeur. Près d’un millier de ces estampes a été numérisé sur Gallica: Orion en aéroplane vous propose de les découvrir, pour un périple de papier à travers le monde et le temps!
![Vue d'optique représentant le Pont de St Michel à Paris, vers 1750, sans nom d'éditeur, Gallica/BnF [détail]](https://peccadille.wordpress.com/wp-content/uploads/2013/07/vue-doptique-reprc3a9sentant-le-pont-saint-michel.jpg?w=529&h=299)
Vue d’optique représentant le Pont de St Michel à Paris, vers 1750, sans nom d’éditeur, Gallica/BnF [détail]
On reconnaît assez aisément une vue d’optique aux caractéristiques spécifiques de cette production. Gravées à l’eau-forte, ces estampes présentent toujours un format horizontal aux dimensions homogènes (20 à 27 cm de hauteur pour 35 à 45 cm de longueur). Imprimées en noir, elles sont coloriées à la main ou au pochoir de façon assez sommaire, l’effet d’ensemble primant sur le détail. La gamme chromatique, assez restreinte, associe le plus souvent le vert, l’ocre, le bleu, le rouge et le brun. Le résultat, suivant le soin du coloriste est plus ou moins réussi… Principale caractéristique de l’image, sa construction en perspective, souvent très exagérée afin de rendre l’effet optique encore plus saisissant. Les images sont accompagnées d’une légende souvent reproduite deux fois : le titre est ainsi inscrit à l’endroit et à l’envers de façon à être lisible même quand l’estampe est placée dans la boîte d’optique, où un miroir inverse l’image.
L’Intérieur de l’Abbaye de Westminster, édité chez Daumont, 1760, Gallica/BnF
La production des vues d’optique débute en Angleterre durant la première moitié du XVIIIe siècle. Le succès naissant, ces estampes sont bientôt imitées dans d’autres pays. Au moment de l’apogée de la mode des vues d’optiques, entre 1740 et 1790, quatre grands centres inondent l’Europe de leur production : Londres, Bassano, Augsbourg et Paris.
D’après Boilly, l’optique, 1793
Les vues d’optique sont prisées dans des milieux sociaux très différents : loisirs agréable des salons aristocratiques, les vues sont admirées dans de belles boîtes ornées qui sont de véritables objets d’art. Le spectacle s’apprécie comme une expérimentation scientifique. Mais la vue d’optique divertie aussi les foules populaires qui se pressent lorsqu’un colporteur installe sur un marché sa boîte et commence à narrer les extraordinaires événements survenus dans un ailleurs plus ou moins lointain et inaccessible. Il est assez difficile de trouver sur internet des photographies des boîtes d’optique et zogaroscopes qui servaient à regarder ces images.
On distingue dans la production de vues d’optique trois catégories. La première, la plus abondante, regroupe les vues topographiques : châteaux, villes, ports, contrées lointaines, reproduits avec plus ou moins d’exactitude, en fonction des documents à disposition du graveur. Si la lettre de certaines de ces estampes nous garantit une représentation « au naturel », il est évident que les auteurs de ces images n’ont pas parcouru les contrées lointaines qu’ils étaient parfois appelé à représenter. Ils recomposaient donc les paysages à figurer en compilant diverses gravures et dessins, ce qui explique certaines fantaisies.
43e. Vuë d’Optique representant l’Eglise St. Marc et le grand Canal de Venise, éditée par Basset et Lachaussée, vers 1780, Gallica/BnF
La seconde catégorie regroupe les scènes d’actualité : sacres, batailles, dramatiques incendies ou catastrophes naturelles en tout genre forment des sujets dont le peuple est friand. Sur ce point la vue d’optique partage avec le Canard les mêmes « niches » éditoriales.
Bataille d’Austerlitz, éditée chez Jacques Chereau, vers 1805, Gallica/BnF
Enfin, un ensemble de vues à thématique religieuse ou moralisatrice forme la dernière catégorie. A valeur éducatives, ces estampes ont surtout été produites par les éditeurs parisiens de la rue Saint-Jacques.
La ville et la tour de Babylone, édité à Augsbourg, 1760, Gallica/BnF
Il est fréquent qu’une même image paraisse successivement chez plusieurs éditeurs soit que la matrice ait changé de main suite à une vente ou à une succession, soit qu’un éditeur ait contrefait une vue produite par un concurrent. En témoigne une vue de l’extérieur de la chapelle de Versailles, dont on trouve 4 exemplaires sur Gallica. La matrice originale a successivement été en possession de Jacques Chereau, de Basset et enfin de Huquier, soit trois des principaux éditeurs de vues d’optique de la rue Saint-Jacques. A chaque changement de propriété, l’adresse mentionnée dans la lettre évolue. Le coloriage, effectué à la main, diffère bien entendu toujours. Très rapidement après la publication de l’estampe, un éditeur d’Augsbourg contrefait la composition. Son graveur reproduit sur cuivre un des exemplaires parisiens: du fait de l’inversion de l’image à l’impression, l’exemplaire augsbourgeois est dans le sens inverse des exemplaires français.
Quatre vues d’optique d’un même sujet: la chapelle de Versailles, édités successivement par trois éditeurs parisiens et contrefaite par un éditeur augsbourgeois
La mode de la vue d’optique s’éteint progressivement au cours de la première moitié du XIXe siècle, alors qu’elle est concurrencée par d’autres modes de production d’images « spectaculaires » : le panorama puis, après 1839, la photographie et notamment la photographie stéréoscopique.
Les vues d’optiques sont assez nombreuses dans les collections publiques et sur le marché de l’art. Le corpus numérisé par la BnF et ses partenaires est de ce fait assez conséquent. Près de mille vues d’optique sont actuellement disponibles sur Gallica – un chiffre qui devrait encore augmenter car tous les fonds n’ont pas encore fait l’objet d’une campagne de numérisation. 900 vues sont accessibles sous la requête « vue d’optique ». Une autre requête permet d’isoler les 600 estampes rassemblées dans les 9 recueils factices intitulés « Choix de vues d’optique des XVIIIe et XIXe siècles » provenant de la collection de Léon Vivarez.
vue d’optique d’une partie de la Ville de Rome, chez Basset, vers 1760, Gallica/BnF [détail]
Si les vues d’optiques sont conservées en nombre relativement important, toutes ne sont pas en bon état : souvent manipulées pour les besoins du « spectacle », leurs bordures sont usées. D’autre part, un certain nombre de ces vues ont été découpées pour créer des effets d’éclairage et des jeux de lumières sur lesquels je reviendrai dans un prochain billet.
Orion en aéroplane 
Un article très intéressant (comme toujours) !
Ces vues d’optique sont assez rares pour le midi… quelques-unes ont pour sujet Marseille.
J’ai sur le mur à gauche de mon bureau une « vue du cours de Marseille » qui diffère de celles qui sont présentées sur gallica.fr. Elle semble être du XVIIIème, mais, malheureusement, elle a été coupée en bas, donc pas d’informations sur l’auteur et la publication… Au plaisir de lire la suite !
Merci beaucoup!
Oui, certaines villes/régions sont plus représentées que d’autres….
Il est rare que les noms des graveurs soient connus: seuls ceux des éditeurs figurent sur les cuivres des vues d’optique. Pour ce qui est des datations, j’indique celles du catalogue de la BnF, qui ne sont pas toujours exactes… La vue d’optique est un domaine où il reste beaucoup de recherche à effectuer, notamment du point de vue de l’établissement d’un catalogue raisonné!
Bonjour. La littérature sur le sujet étant assez mince (?), j’espère qu’elle sera développée et qu’on pourra disposer un jour d’un véritable catalogue, au moins pour la production parisienne.
Un de mes ancêtres amateur d’estampes avait acheté en 1786 toute la production topographique du libraire Basset, au coin des rues St Jacques et des Mathurins à Paris, lequel « m’a assuré que la collection de ces mêmes vuës n’était au mois d’avril 1786 que de 550, dont j’en ai 545, mais les 5 qui restent ne méritent pas d’etre acheptées. Je n’ai payé que quatre sols chacune, tant chez Basset que chez Mondard, rue St Jean de Beauvais, quoiqu’elles se vendent six et huit sols chacune », et il en avait dressé le catalogue en 21 chapitres, soit France 173, Espagne et Naples 39, Pays-Bas 50, Portugal 8, Sardaigne 2, Angleterre 46, Suisse et Genève 1, Russie 12, Suède 1, Danemark 2, Pologne 2, Prusse 4, Allemagne 39, Italie – Rome 35, Venise 20, Milan 16, Italie 1, Turquie-Grèce 1, Isles 14, Asie-Afrique-Amérique 39, sujets divers 32 (soit 537, il en manque 8 non décrite).
Les Allemands ont détruit la machine optique en 1940, les 4 recueils ont été dispersés. C’est bien dommage. Reste le catalogue, assez détaillé (il reprend le texte des estampes en entier).
Cordialement. JRC
Merci de ce commentaire très intéressant et émouvant. C’est bien triste que les recueils aient été dispersés… Mais si vous en avez un catalogue détaillé, peut-être pourriez vous envisager de reconstituer virtuellement cette collection, en vous appuyant sur les bases de données et les collections numérisées ? Ce serait une chouette expérience !
Je serai heureuse de vous aider dans un tel projet. Quand je travaillais à la BnF j’avais passé des heures à feuilleter l’intégralité des collections topographiques pour repérer des vues d’optiques que nous n’avions pas inventoriés et qui n’étaient donc pas disponibles dans Gallica…
Je rectifie le décompte, il faut lire « Turquie-Grèce 9 », le catalogue est donc complet.
Oui, j’imagine que ce genre de recueil n’est pas unique, on doit en trouver non seulement à la BNF mais dans plusieurs bibliothèques de Paris, Versailles et en province. Beaucoup d’autres ont déjà été dispersés par les libraires (ils disent « cassé »). Il existait plus souvent des collections de planches libres, pour être lues par les machines optiques. Nous en avons conservé quelques unes montées sur carton fort qui sont bordées de noir, et qui sont légendées en allemand. Je pense que l’ancêtre (qui n’a pas été identifié) avait une collection considérable, il avait aussi les 144 vues de Rigaud, parmi d’autres. Mais le catalogue qu’il a laissé est sans doute plus rare. Il faudrait l’informatiser, en accompagnant la description de chaque planche par une petite vignette, comme dans les catalogues de ventes aux enchères. (Je suis de la vieille école, j’ai encore le culte du document imprimé).
A propos de Rigaud, l’article ne le dit pas, mais il me semble que la vue de la chapelle de Versailles prise en exemple est fortement inspirée, pour ne pas dire copiée, de ce graveur. On trouve aussi dans mon catalogue les deux fameux tableaux de la peste de 1720 à Marseille, d’après Michel Serre. D’autres peintres ont pu ainsi voir diffuser leurs oeuvres, avec ou sans leur accord (je présume, le plus souvent sans). Quand aux gravures plus naïves, dans la veine des collections Clairambault, elles sont sans doute des bancs d’essai pour des graveurs débutants, mais leurs sources d’inspiration restent à découvrir.
Je profiterai bien volontiers de votre aide et conseils. Je suppose que vous avez accès à mon mail, sinon, dites-le moi, je l’inscrirai ici. Cord. JRC