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Aujourd’hui, notre aéroplane se pose à Istanbul pour une exploration de la ville à la fin du XIXe siècle. Le support de notre voyage immobile consiste en deux vues panoramiques de la ville, saisies depuis la tour de Galata à vingt ans d’intervalle par les photographes Mihran Iranian et Pascal Sebah. Ces clichés témoignent de l’évolution urbaine de la capitale turque durant le dernier quart du XIXe siècle. Par leur qualité exceptionnelle, ces photographies sont également le reflet du dynamisme de l’industrie photographique en Orient à la même période.

Pascal Sebah, Panorama de Constantinople pris de la tour de Galata, 1875, INHA

Pascal Sebah, Panorama de Constantinople pris de la tour de Galata, 1875, INHA (détail)

La photographie à Istanbul dans la seconde moitié du XIXe siècle

Dès 1839, quelques mois seulement après le dévoilement du procédé photographique au public, des voyageurs gagnent le Proche-Orient encombrés du lourd matériel de daguerréotypie. Malgré les difficultés techniques, ils produisent les premières vues de Constantinople, de Jérusalem et du Caire.

Coûteux, lourd et contraignant, le matériel photographique reste l’apanage d’une petite élite de voyageurs, alors même que la demande en images explose. Des photographes professionnels vont s’emparer de ce marché. Ils s’installent dans les grandes villes du pourtour méditerranéen pour fournir aux voyageurs des clichés qui deviennent le support de leurs souvenirs.

Mihran Iranian, Panorama de Constantinople pris de la tour de Galata, 1895, Gallica/BnF (détail)

Mihran Iranian, Panorama de Constantinople pris de la tour de Galata, 1895, Gallica/BnF (détail)

A Istanbul, les premiers photographes sont étrangers, majoritairement d’origine française et anglaise. A partir de 1860, des stambouliotes commencent à installer des studios professionnels : ces photographes locaux sont le plus souvent issus des communautés grecques et arméniennes. Nos deux photographes appartiennent à cette seconde génération : Pascal Sebah, turc chrétien, ouvre son premier atelier à Istanbul en 1857. Le succès de sa maison grandissant, il implante une succursale au Caire en 1873. Mihran Iranian, quant à lui, est un photographe arménien actif dans le quartier de Péra autour de 1890.

Ces photographes produisent des clichés avant tout à destination des voyageurs. De ce fait, leurs catalogues commerciaux sont essentiellement  composés de vues d’architecture, de scènes de genre, de paysages et de types pittoresques qui satisfont la quête d’exotisme de leurs clients. Les artistes prisent tout particulièrement ces images qui forment une documentation incomparable pour leurs travaux.

La Tour de Galata, un point de vue à couper le souffle… depuis le XIVe siècle!

Parmi les clichés de paysages, les vues panoramiques d’Istanbul sont les plus recherchées. Leur très grand format en fait des pièces exceptionnelles. Dépliés, ces panoramas photographiques mesurent plus de trois mètres de long! Le photographe Pascal Sebah sera à plusieurs reprises récompensé lors d’expositions universelles pour la qualité technique de ses panoramas.

A la fin du XIXe siècle, comme aujourd’hui encore, le point de vue le plus prisé d’Istanbul est celui offert depuis le sommet de la tour de Galata, érigée par les gennois au XIVe siècle. Depuis son toit, à 66 mètres au dessus du niveau de la mer, le panorama sur la ville est époustouflant! Si la tour sert officiellement de lieu de vigie contre les incendies, nombreux sont les curieux qui s’y rendent pour admirer la vue. C’est un lieu d’attraction incontournable pour les voyageurs, et les photographes sont nombreux a en commercialiser l’image.

Pascal Sebah, Le pont et la tour de Galata, Constantinople, photographie, ENSBA/INHA

Pascal Sebah, Le pont et la tour de Galata, Constantinople, photographie, ENSBA/INHA

Un témoignage de l’urbanisme à Istanbul à la fin du XIXe siècle

Les panoramas réalisés par Pascal Sebah et Mihran Iranian à vingt ans d’intervalle (1875 pour Sebah et 1895 pour Iranian) sont révélateurs des évolutions urbaines de Constantinople à la fin du siècle. Le témoignage qu’ils apportent sur le passé de la ville est très émouvant pour le touriste qui visite aujourd’hui Istanbul.

Au XIXe siècle, les voyageurs qui séjournent à Constantinople recherchent le pittoresque et l’exotisme oriental. Dans la seconde moitié du siècle, ils sont de plus en plus nombreux à être déçus de l’occidentalisation galopante de la ville. Dès 1851, Gérard de Nerval écrit: « Depuis mon arrivée à Constantinople, je me suis toujours senti dans une ville Européenne où le Turc est devenu lui-même un étranger ».

Pascal Sebah, Panorama de Constantinople pris de la tour de Galata, 1875, INHA (détail)

Pascal Sebah, Panorama de Constantinople pris de la tour de Galata, 1875, INHA (détail)

C’est en effet une « Constantinople qui s’en va » que les voyageurs prisent. Or, la seconde moitié du XIXe siècle est une période de modernisation pour la capitale ottomane, qui se réarticule autour des quartiers récents de Galata et Pera, sur la Corne d’Or. Le nouveau cœur de la ville est cosmopolite et multiculturel. On y trouve des ambassades, des hôtels, des théâtres bâti dans une architecture semblable à celle en vogue à Paris…

Vingt ans séparent les deux photographies de Sebah et d’Iranien, et l’on mesure l’ampleur du développement urbain de la ville en moins de vingt ans.

Pascal Sebah, Panorama de Constantinople pris de la tour de Galata, 1875, INHA (détail du pont)

Pascal Sebah, Panorama de Constantinople pris de la tour de Galata, 1875, INHA (détail du pont)

Le panorama réalisé par Pascal Sebah est daté de 1875 : sur la Corne d’Or, on y observe l’achèvement des travaux de construction du troisième pont de Galata. Juste à coté, le second pont, construit en bois moins de quinze ans plus tôt, est encore en activité.

Mihran Iranian, Panorama de Constantinople pris de la tour de Galata, 1895, Gallica/BnF (détail)

Mihran Iranian, Panorama de Constantinople pris de la tour de Galata, 1895, Gallica/BnF (détail)

Mais c’est essentiellement au pied de la tour, vers le nord, que les transformations sont le plus spectaculaires. En 1870, un incendie a ravagé ce quartier, rendant possible d’importantes opérations immobilières. De grands immeubles modernes ont progressivement remplacé les bâtisses traditionnelles. Les jardins et les arbres disparaissent sous les nouvelles construction. Au loin, on observe encore une myriade de maisons en bois, qui ont malheureusement presque toutes disparues d’Istanbul aujourd’hui…

Pascal Sebah, Panorama de Constantinople pris de la tour de Galata, 1875, INHA (détail)

Pascal Sebah, Panorama de Constantinople pris de la tour de Galata, 1875, INHA (détail)

Les deux liens ci-dessous vous permettront d’explorer librement ces exceptionnelles photographies. N’hésitez pas à partager vos impressions et observations par un commentaire ! 

Explorer le panorama de Constantinople en 1875 par Pascal Sebah sur la bibliothèque numérique de l’INHA

Sebah_panorama_Istanbul_1875

Explorer le panorama de Constantinople en 1895 par Mihran Iranian sur Gallica (et reconstitué sur wikipédia)

Panorama_Istanbul_Iranian_1895