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Alors que la postérité a retenu Daguerre comme « inventeur » – du moins révélateur – de la photographie, un autre aspect de sa carrière – et non des moindres – est tombé dans l’oubli: celle de créateur du diorama, l’un des spectacles d’illusion les plus prisés du XIXe siècle. Plusieurs documents disponibles sur Gallica éclairent cette aventure.

Marlet, Le Dyorama... port de Boulogne, lithographie, s. d., coll. George Eastman House, Rochester

Marlet, Le Dyorama… port de Boulogne, lithographie, s. d., coll. George Eastman House, Rochester

Du décor de théâtre au diorama

Avant de perfectionner l’invention de Nicéphore Niepce, Louis Daguerre a eu une autre carrière, celle de décorateur de théâtre et d’entrepreneur en spectacle, dont le plus grand succès fut le diorama, inauguré en 1823.

Formé à la peinture, Daguerre brille dans sa jeunesse pour ses tableaux représentant des églises en ruine et autres paysages romantiques. Pour vivre, il diversifie ses activités peignant des décors pour l’Opéra et le théâtre l’Ambigu comique. Son talent pour les illusions, servi par une parfaite maitrise des effets de lumière et d’atmosphère, concoure à son succès, si bien que le public ne se presse  plus au théâtre pour admirer le jeu des acteurs mais pour la stupéfaction que ses décors procurent. Pourquoi, dès lors, poursuivre une collaboration avec les théâtres alors que le décor peut devenir l’unique objet du spectacle sans qu’il y est recourt aux comédiens?

En janvier 1822, Daguerre s’associe à Charles Marie Bouton, un autre peintre, pour créer le diorama, un dispositif de spectacle inspiré tout à la fois des décors de théâtre, des panoramas, des vues d’optiques et autres fantasmagories illusionnistes.

Leur dispositif repose sur l’illusion peinte et l’éclairage. Sur de grandes toiles taillées dans un voile transparent, Bouton et Daguerre peignent des décors monumentaux à la perspective parfaitement calculée. Par une maitrise subtile et complexe de l’éclairage porté sur la composition, ils peuvent obtenir différents effets d’atmosphère (diurne, nocturne, aurore ou crépuscule) selon que la lumière frappe la toile peinte par le devant ou par l’arrière. Des châssis vitrés et des panneaux teints permettent de moduler encore le résultat.

Anonyme, vue du château d'eau, avec le Diorama de Daguerre, dessin, 1822, Gallica/BnF

Anonyme, vue du château d’eau, avec le Diorama de Daguerre, dessin, 1822, Gallica/BnF

A deux pas de l’actuelle place de la République, ils font construire par Châtelain un baraquement destiné à accueillir leur attraction. Le bâtiment peut accueillir trois toiles planes de 24 mètres par 13. Au centre, une plateforme pivotante accueille le public et permet de présenter successivement les différentes compositions. Deux toiles seulement sont présentées simultanément au public, l’autre espace étant souvent réservé à la réalisation de nouvelles vues.

Plan du diorama, tiré de Donnet, Architectonographie des théâtres de Paris, ou Parallèle historique et critique de ces édifices considérés sous le rapport de l'architecture et de la décoration, 1821 (?), Gallica/BnF

Plan du diorama, tiré de Donnet, Architectonographie des théâtres de Paris, ou Parallèle historique et critique de ces édifices considérés sous le rapport de l’architecture et de la décoration, 1821 (?), Gallica/BnF

La magie de l’illusion

Le diorama ouvre au public le 11 juillet 1823 avec deux compositions: une vue de la chapelle de la cathédrale de Cantobery, peinte par Bouton, et une représentation de la vallée de Sarnen due à Daguerre. On a là les deux grands types qui feront le succès du diorama: les vues intérieures d’édifices monumentaux et les paysages grandioses aux effets atmosphériques séduisants.

Le succès est immédiat: les parisiens, toujours avides de nouveautés, se délectent de ce spectacle surprenant, qu’ils peinent à expliquer, car Daguerre se garde bien de révéler le secret de ses mécanismes. De nombreux journaux relatent la magie de ces séances, à l’image de la revue L’artiste, qui consacre régulièrement des articles aux nouveautés du Diorama. Les hommes de lettres ne se montrent pas non plus indifférents au spectacle. Balzac, qui l’a visité en 1822, l’évoque dans le Père Goriot tandis que Baudelaire s’en souvient avec nostalgie en 1859.

Diorama almanach des spectacle 1827

Pour rentabiliser au mieux l’attraction, Daguerre et Bouton font commercialiser des petites plaquettes qui décrivent les tableaux en apportant des indications historiques et contextuelles sur les scènes représentées. Ces plaquettes sont aujourd’hui un témoignage précieux pour reconstituer les compositions disparues.

Le « double effet », ou la réinvention du Diorama

Bien que les décors soient renouvelés régulièrement, l’intérêt du public pour le diorama commence à s’étioler dès la fin de la décennie… jusqu’à un nouveau coup de génie de Daguerre! En 1834, il trouve le moyen d’améliorer sa technique et les effets qu’elle produit. Ne se contentant plus seulement de peindre la face des toiles, il se met également à représenter au verso des toiles des détails supplémentaires, qui ne se révèlent que sous un certain éclairage. C’est ce que l’on appelle le diorama « double effet ». Lors du spectacle, l’image est dans un premier temps éclairée par la face avant. Progressivement, un éclairage par l’arrière prend le relai, révélant ainsi des détails peints en grisaille au verso. La toile « double effet » ayant le plus marqué les esprits est sans conteste « la messe de minuit à Saint-Etienne du Mont » (1835). L’éclairage « diurne » laisse voir une église déserte, tandis que l’éclairage nocturne fait apparaître une foule de fidèles en prière à la lueur des cierges qui se sont comme par magie allumés. Un autre exemple souvent cité est celui de la vue de la vallée de Goldau, où le spectateur découvre successivement le même paysage avant et après un éboulement.

La vidéo qui suit, produite par la ville de Bry, permet de mieux comprendre le mécanisme en jeu.

1839, une page se tourne

En 1839, quand Daguerre vend à l’état son procédé photographique, la transaction comprend également le principe du Diorama. Son ouvrage Historique et description des procédés du daguerréotype et du diorama livre quelques-uns (mais pas tous!) des secrets de ce théâtre d’illusion. L’année même, le diorama disparait dans les flammes de l’incendie du laboratoire de Daguerre, réduisant en cendre la plupart des toiles. Après cette catastrophe, Daguerre, à qui l’Etat assure une confortable rente viagère, se retire à Bry-sur-Marne. Il y réalisera une dernière toile monumentale pour le cœur de l’église de paroisse. Dernier témoin conservée de l’art de décorateur de Daguerre, elle diffère cependant beaucoup des compositions ordinaires du diorama, n’ayant pas été composée pour un tel spectacle.

Le principe du Diorama sera repris et adapté par Bouton et ses successeurs dans différentes attractions qui animeront notamment les Expositions Universelles, mais c’est (déjà) une autre histoire!

Diorama almanach des spectacle 182-

A lire sur Gallica:

Pour aller plus loin : Le Gall, Guillaume, La peinture mécanique : le diorama de DaguerreParis, Editions Mare et Martin Arts, 2013, 135 p.