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Imaginons la visite muséale connectée de demain, où comment l’exposition pourrait devenir une bibliothèque, si l’on aidait un peu plus les ouvrages à voler hors des vitrines! 

Détail d'une enluminure, exposition "Miniatures flamandes", BnF/Bibliothèque royale de Bruxelles

Détail d’une enluminure, exposition « Miniatures flamandes », BnF/Bibliothèque royale de Bruxelles

Livre exposé, livre enfermé?

Souvent, dans les expositions que je visite, sont présentés des livres. Des livres anciens, des livres récents, des manuscrits en latin, des imprimés annotés, des BD, des brochures populaires, des journaux sur du mauvais papier. Et il n’y a rien de plus frustrant. Le livre est là, enfermé, sous une vitrine. Prisonnier, condamné à ce que des milliers d’yeux parcourent sans cesse la même double page, cette double page à laquelle il a été ouvert. Cette double page qui comporte une information essentielle au propos de l’exposition, qui illustre une partie, qui dialogue avec d’autres artefacts. Quelques fois, c’est presque le hasard qui dicte la page d’ouverture : une triviale question de conservation d’un livre trop fragile. Souvent, le choix de l’ouverture relève du sacrifice : à défaut de tout montrer, il a fallu se résoudre à ne choisir qu’une page, le livre ne s’ouvrant qu’en un endroit à la fois.

L’objet textuel, dans l’exposition, ça n’est jamais évident. Il y aurait de quoi écrire des pages et des pages (une thèse, peut-être) sur l’exposabilité du livre. Mais là n’est pas mon propos. Je veux vous parler de la frustration du visiteur, interrompu dans sa lecture par la césure d’une page qui lui est interdit de tourner. La frustration du visiteur qui devine, sans pouvoir les voir, que le manuscrit contient d’autres enluminures, sûrement tout aussi belles que celle qu’il a sous les yeux. Sous vitrine, le livre est devenu muet, réduit à un fragment : une reliure fermée ou une double page parmi des milliers de feuillets. La partie dévoilée pour résumer un tout inaccessible.

Voir au musée, lire à la maison

A cette frustration que ressent le visiteur, le numérique peut apporter de multiples solutions pour une exposition en « réalité » augmentée! Voici l’expérience muséale dont je rêve…

Souvent, il existe un exemplaire numérisé, quelque part dans une bibliothèque numérique, de l’ouvrage exposé. Scrupuleusement, le visiteur curieux peut noter les références, photographier les cartels afin de retrouver sur Gallica cette Physiologie de la Lorette exposée au Musée Balzac ou ce numéro du Journal des voyages présenté dans l’exposition Kanak, l’art est une parole au Musée du Quai Branly.

Le journal des voyages à l'exposition Kanak, l'art est une parole du Musée du Quai Branly et sur Gallica

Le journal des voyages à l’exposition Kanak, l’art est une parole du Musée du Quai Branly et sur Gallica

Voilà une habitude que j’ai prise pour retrouver les documents qui m’avaient interpellée lors de mes sorties culturelles… parfois sans succès. Si bien que plus d’une fois, je me suis mise à rêver que les musées indiquent, directement sur leur site, une liste des pièces présentées dans l’exposition et par ailleurs numérisées et disponibles en ligne. Certaines institutions le font, comme la BnF qui accompagne ses importantes expositions de mini-sites fort pédagogiques dont les liens renvoient, de plus en plus, vers Gallica. Mais pourquoi ne pas le généraliser la pratique?

Capture d'écran du mini-site de l'exposition "Enluminures en Islam" organisée par la BnF

Capture d’écran du mini-site de l’exposition « Enluminures en Islam » organisée par la BnF

Livre numérisé, livre en liberté!

La consultation de l’ouvrage numérisé est presque toujours cantonnée à l’après-visite, déconnectée de l’expérience muséale. On ne peut plus comparer l’illustration au croquis préparatoire, regarder simultanément le manuscrit et texte imprimé. Et surtout, devant l’ouvrage numérisé, il manque le précieux appareil de médiation qu’offrait l’exposition…

A l’exposition Gustave Doré, quelle frustration de ne pouvoir détailler les cases d’une planche trop large, de ne pouvoir se pencher sur une illustration accrochée trop haut, de ne pouvoir tourner les pages d’une monumentale édition des fables! Comme j’aurais aimé parcourir l’exposition avec ma tablette, accédant directement aux ouvrages numérisés via l’application Gallica : mon expérience de visite en aurait été plus riche et beaucoup plus longue aussi… J’aurai pu feuilleter une revue de 1850 sur place, télécharger une version e-pub gratuite de tel ouvrage pour occuper un trajet en RER, partager un coup de coeur sur les réseaux sociaux!

Page d'accueil de l'exposition virtuelle Gustave Doré sur le site de la BNF

Page d’accueil de l’exposition virtuelle Gustave Doré sur le site de la BNF

Bien sûr tout cela est déjà à la portée du curieux équipé d’un bon matériel, de patience et d’une connexion 4G, mais pourquoi ne pas le rendre accessible au plus grand nombre, en signalant directement dans le parcours de l’exposition les ouvrages disponibles en ligne (avec un truc plus joli que des QRcodes, pitié!) et du wifi pour télécharger tout ça en trente secondes?

Et pour ceux qui n’ont pas de tablette? Des écrans tactiles accolés aux vitrines, contenant le double numérique et manipulable du livre exposé ou des bornes de consultation où lire, confortablement installé, l’ouvrage tout entier!

Livre papier Livre numérique  Johanna Daniel

Une expérience de lecture augmentée avec Gallica sur Ipad

Il y aurait, autour de cette simple « sortie virtuelle du livre de la vitrine » des possibilités de dissémination énormes. Ainsi, il serait possible de partager toujours plus l’expérience muséale sur les réseaux sociaux, susciter chez d’autres l’envie de la visite ou « combler » un éloignement physique! Le visiteur s’enverrait par mail le lien vers un ouvrage qui lui a plu, l’étudiant sauvegarderait un document utile pour ses travaux dans sa bibliothèque Zotero … et l’annoterait dans le même temps!

Bref, on a libéré les livres sur la toile, faites les voler dans le musée maintenant!

Et vous, avez vous observé des dispositifs de médiation intéressants qui permettent de « sortir » le livre de sa vitrine? Racontez-les nous, les commentaires vous sont ouverts!