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Si vous vous êtes promenés sur les berges de la Seine nouvellement ouvertes, peut-être vous êtes vous arrêtés devant l’immense tableau noir et ses craies offerts à la créativité des passants. Un peu plus chanceux, vous avez peut-être observé JP travailler, ou admiré l’une de ses œuvres… Dimanche dernier, j’ai rencontré celui qui illumine de ses créations l’ardoise noire du port de Solférino !

30 juin 2013

« Wahou, regarde, c’est magnifique ! » : par ce cri enthousiaste mon amie Sophie avait interrompu ma promenade quotidienne sur les berges. Sur le tableau où j’observais depuis deux semaines touristes et parisiens crayonner leur nom, la date de leur passage ou des petits dessins humoristiques, voici qu’était apparu une œuvre d’art ! Un rectangle, modeste, en bordure des dix mètres d’ardoise, minutieusement empli de petites touches colorées. Nous nous étions approchées, admiratives et séduites pour scruter les moindres détails de cette œuvre éphémère et joyeuse. Quelle belle idée avait eu le créateur de cette pièce, offrant tout d’un coup une autre dimension à ce tableau de graffitis autorisés ! C’était joli de loin, ça l’était encore plus de près. A l’harmonie colorée du regard distant, succédait le plaisir de détailler les formes, d’apprécier le grain de la craie sur la peinture ardoise. C’était la fin de journée et – avec un pincement au cœur – nous avions, comme tant d’autres promeneurs, immortalisé cette œuvre modeste mais si généreuse, convaincues qu’elle aurait disparue le lendemain…

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Le tableau est nettoyé tous les jours et laissé à d’autres mains, d’autres passants… J’ai scruté toute la semaine une nouvelle apparition… Rien… Jusqu’à ce dimanche. Rentrant des jardins flottants, c’est avec émotion que j’ai aperçu un monsieur au t-shirt marin entrain de crayonner une composition plus ambitieuse que celle que j’avais vue précédemment. Un grand rectangle vertical, avec, au centre, un immense pot de  terre d’où émergeaient des fleurs merveilleuses, comme noyées dans un jardin luxuriant. L’homme à la marinière s’activait, changeant sans cesse de couleurs, d’espace. Un point en haut, un trait au milieu, une croix à gauche. Il reculait, jugeait d’un regard, revenait ici, là… un ballet joyeux, parfois accompagné par quelques enfants, qui, admiratifs, se laissaient convaincre d’essayer, d’écrire leur noms et puis, prenant de l’assurance avec les grosses craies qu’on leur tendait, de remplir les espaces vides. Et petit à petit, le rectangle s’emplissait.

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JP n’est pas un artiste, mais l’art, il aime bien. Il est passé une première fois devant le grand tableau noir, s’est laissé tenter par l’espace, a essayé… Et depuis, revient ici. Ca lui plait bien, il créée. Et les gens lui donnent de l’énergie. Ils s’arrêtent, initient le dialogue. Des enfants, des parents, des jeunes, des personnes âgées. Voir JP travailler donne le sourire. « Mais essayez ! Prenez une craie et remplissez les espaces ! Changez de couleurs, laissez vous porter ! Il ne faut pas rester dans le même coin, il faut bouger, c’est une historie d’équilibre. » Son plaisir est communicatif et, entraîné dans sa danse chacun se rend compte du potentiel de ce tableau noir et de ces craies. Il suffit de le rejoindre pour transformer tous ces ordinaires prénoms, dates, slogans, soleils et tours Eiffel trop vite tracés en un jardin luxuriant de formes et de couleurs. Bref, en une création artistique.

P1030123En scrutant bien le tableau on distingue, dans tous ces traits entremêlés, ici une fleur, là le prénom d’une jeune fille, ici encore un cœur… « Aujourd’hui, j’ai commencé par un pot de fleurs. J’aime bien la nature, je suis jardinier à la ville de Paris. Ce matin, je dessinais dans le sable, dans un square, près de République ». Des petits traits, des spirales, des ronds, des cœurs, des fleurs, des croix, des points ont depuis envahi l’espace et masqué ces formes antérieurement tracées.

P1030038Un enfant, admiratif, a rejoint JP qui lui explique maintenant comment faire avec ces grosses craies. Remplir l’espace, changer de couleur, y aller, se lancer. Et l’enfant, d’abord timide, s’élance. « Oh j’ai raté, je recommence ! » Les petits doigts ont voulu gommer. « Non, n’efface pas, il ne faut rien effacer. Fais un autre trait… ». Et l’enfant découvre : on ne colorie pas, on juxtapose des traces, ça donne des plages colorées quand on regarde de loin. On peut frapper la craie, ça fait un bruit rythmé « comme des tam-tam » et ça laisse des petits points… Une initiation gratuite et efficace à son propre potentiel créatif.

Je suis restée une heure auprès de JP. Le temps d’entendre les gens exprimer leur enthousiasme, le féliciter, s’arrêter pour une photographie. Nous avons parlé de l’expo Roy Lichtenstein, de son travail, de ses dessins sur le mur du port de Solferino. JP n’aime pas trop les technologies, il n’a même pas d’appareil photo pour garder trace de ses créations. P1030122Mais les gens le font pour lui, et lui envoient par la poste les clichés qu’ils ont saisi. Des photographies qui montrent son travail évoluant d’heure en heure. JP fais ça comme ça, sans théorie, sans idée préconçue. Il a ça à exprimer, ça sort. Enfin pas tous les jours, y’a des jours où rien ne vient. Et les gens l’encouragent, ça donne de l’énergie. « J’ai acheté du matériel, je vais continuer à essayer des trucs, je suis pas artiste, mais je suis content que ça plaise, alors je vais continuer… Oui, j’aimerai bien savoir faire ça aussi, du Street-Art avec des bombes, comme tu dis ».

Les dessins sont éphémères et chaque soir, quelqu’un nettoie le tableau. Ca n’embête pas plus que ça JP. En revanche, ce qui lui crève le cœur, ce sont les gens qui viennent gratuitement détruire son travail. La semaine dernière, il avait fini son dessin. Il était assis sur les « mikado », avec le soleil de fin de journée. Un enfant écrivait son nom sous la création colorée. Des grands sont passés, agressifs. Ils ont donné une grande claque dans le dessin, faisant fuir l’enfant. Et la jolie composition, patiemment ciselée comme de la dentelle, est restée éventrée, balafrée. « Ca m’a fait comme un poignard dans le cœur ».  « Mais ta création, elle est restée dans le cœur de tous les gens qui t’ont regardé travailler » lui ai-je répondu.

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Tableau noir des quais de Seine et ses couleurs à composer, c’est tous les jours sous la passerelle Léopold Séar Senghor. Pour les créations de JP, il faut avoir de la chance ! Si vous passez, transmettez lui mes amitiés, et accompagnez-le, il pourrait vous en apprendre beaucoup sur vous-même.