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Le boulevard périphérique ceinture fermement le Paris d’aujourd’hui. Mais qu’en était-il hier? Les abords de la capitale ont maintes fois changé de visage au cours de l’histoire. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la « Zone » entourait la capitale. Cette bande de terrains vagues précédait l’enceinte défensive érigée par Thiers. Décrétée inconstructible, elle est pourtant rapidement devenue le refuge d’une population aussi miséreuse que nombreuse. Inquiétant le bourgeois, préoccupant le politique, la Zone est aujourd’hui associée au mythe des bas-fonds parisiens. Les photographies qu’en firent Atget et les employés des agences Rol et Meurisse témoignent de la réalité sociale malheureuse.

Agence Rol, Zoniers d'ivry, 1913, Gallica

Agence Rol, Zoniers d’ivry, 1913, Gallica

Des fortifications bien inutiles

En avril 1841, un budget de 140 000 millions de Francs est débloqué pour doter Paris d’une nouvelle enceinte, que l’histoire retiendra sous le nom d’ « enceinte de Thiers ». Longue de 34 km, elle englobe tout Paris (voir carte). Le mur, haut de trois mètres et large de 10 mètres est percé de 52 ouvertures qui relient le boulevard des maréchaux à la banlieue. A l’extérieur de l’enceinte, une bande de 250 mètres est déclarée non constructible: c’est le glacis, un terrain découvert offrant une bonne visibilité aux défenseurs et dépourvu d’abri pour d’éventuels agresseurs.

L’érection d’une nouvelle enceinte autour de Paris suscite le débat depuis 1830. En effet, les experts militaires y sont pour beaucoup opposés, considérant que les progrès de l’artillerie rendent inutiles les murailles.

Zone Ivry Enceinte Thiers

Agence Rol, Zoniers d’ivry, 1913, Gallica

Une zone non constructible?

La bande de terrain vague de 250 mètres qui précède la muraille est déclaré non constructible. Elle devient rapidement un lieu de promenade pour les parisiens. Buvettes, guinguettes, foires et brocantes s’installent dans des baraquements provisoires.

La zone attire les petits industrieux, qui y implantent ateliers et fabriques: les coûts de construction y sont moindres et personnes n’y regarde quant à la pollution.

Atget, porte de Montreuil, 1913, Gallica

Atget, porte de Montreuil, 1913, Gallica

Mais c’est surtout un habitat précaire qui va se développer dans la zone. Paris connait, dans la seconde moitié du siècle, une croissance démographique galopante. A l’étroit dans ses murs, la ville ne parvient plus à absorber les nouveaux migrants issus de l’exode rural, tandis que les grands travaux de rénovation de la capitale repoussent les populations miséreuses en périphérie.

La zone, non constructible, se couvre donc de baraques, cabanes, masures. En 1912, une étude municipale y recense quelques 12 132 constructions!

Agence Rol, Zoniers d'ivry, 1913, Gallica

Agence Rol, Zoniers d’ivry, 1913, Gallica

Les zoniers, une population miséreuse aux portes de Paris

La majorité de ces constructions sont des habitations. La population, difficilement recensable, est estimée à plusieurs dizaines de milliers individus. Les « zoniers » qui vivent là sont beaucoup des chiffonniers et éboueurs, qui vivent de la récupération des déchets de la ville. Les « trafouilleux » repêchent ce que la Seine charrie, les chiffonniers collectent les ordures dans les rues. Tous alimentent un marché de seconde main : ils réparent et revendent les objets trouvés, livrent les matières usagées aux industries recyclantes (chiffons pour le papier, chairs et graisses pour le savon et les bougies…)

Entre 1899 et 1913, Atget a réalisé plusieurs séries de photos dans les bidonvilles qui bordent la capitale. Ses clichés, rassemblés dans l’album « les zoniers » témoignent de la misère des indigents. L’habitat est précaire, insalubre et crasseux. Autour des baraquements, les enfants jouent parmi les détritus. Les photographies montrent aussi les chiffonniers au travail, les gestes quotidiens de survie.

Atget, porte d'Asnières, cité Valmy, 1913, Gallica

Atget, porte d’Asnières, cité Valmy, 1913, Gallica

Numérisés sur Gallica, ces images sont un témoignage incomparable de la réalité sociale de la Zone.

La fin de la Zone?

En avril 1919, la zone militaire, définitivement reconnue comme inutile, est déclassée et annexée à Paris. La municipalité se lance dans un grand plan d’urbanisme pour lotir et assainir les portes de la ville. Les anciens terrains vagues se couvrent de logements HBM (habitat bon marché, l’ancêtre des HLM) et voies aérées.

Agence Meurisse, La zone à la Porte de Clignancourt , 1928

Agence Meurisse, La zone à la Porte de Clignancourt , 1928

Cependant, la conversion de la Zone est longue, comme en témoignent les reportages photos réalisés par l’agence Meurisse dans l’entre-deux-guerres.

En effet, de nombreux zoniers refusent l’expulsion et cherchent à faire valoir un statut de petits propriétaires. Ils s’organisent en une « ligue des zoniers » et obtiennent d’être indemnisé de la perte de leur modeste logement.

Bien que l’évacuation de la zone ait fortement accéléré pendant la seconde guerre mondiale, les derniers zoniers ne la quitteront qu’en 1970, lors de la construction du périphérique…

Et aujourd’hui, depuis les voies du boulevard périphérique, c’est le coeur serré que l’on aperçoit la silhouette des cabanes des nouveaux zoniers, massés le long des grillages.

Pour aller plus loin: